web/nec/confs/stunfest/espaces_liminaux.org

347 lines
16 KiB
Org Mode
Raw Normal View History

#+options: ':nil *:t -:t ::t <:t H:3 \n:nil ^:t arch:headline
#+options: author:t broken-links:nil c:nil creator:nil
#+options: d:(not "LOGBOOK") date:t e:t email:nil f:t inline:t num:t
#+options: p:nil pri:nil prop:nil stat:t tags:t tasks:t tex:t
#+options: timestamp:t title:t toc:t todo:t |:t
#+title: Étrangeté numérique : Voyage dans les espaces liminaux et autres analog horror
#+date: <2023-05-21 dim.>
#+author:
#+email: rick@lyra
#+language: en
#+select_tags: export
#+exclude_tags: noexport
#+creator: Emacs 28.3 (Org mode 9.6.4)
* Introduction
Intervenants : [[https://invidious.fdn.fr/channel/UC1KxoDAzbWOWOhw5GbsE-Bw][ALT 236]] , [[https://nitter.lacontrevoie.fr/_DollyWood_/status/1434786027521118209][Dollywood]], Faé, [[https://nitter.lacontrevoie.fr/DrHercouet][Thomas Hercouët]] (journaliste
Brut et animateur du podcast [[https://invidious.fdn.fr/channel/UCmPWgb_IBUXUUVD27I_Ej0w][Les Nouilles Rampantes]]).
Ce résumé n'est pas forcément organisé comme la conférence (qui était
plus une discussion organisée). J'ai essayé de faire un travail de
synthèse sur mes notes pour réorganiser les idées qui fusaient dans un
ordre qui me convenait.
Il y a eu [[https://nitter.lacontrevoie.fr/Sophiebarel/status/1659995051387244544][une suite]] à cette conférence, mais je n'ai pas pu y aller. Si
vous avez pu vous y rendre et prendre des notes, je serai heureux de
rajouter un lien ici vers la synthèse de ces dernières.
Certains liens sont directement cités dans la conférence, d'autres ont
été rajoutés par mes soins pour rediriger les personnes intéressées
vers d'autres ressources.
* Définitions
Définitions basiques de ces grands thèmes avant de rentrer dedans plus
en détail durant la conférence.
** Liminal
Du latin /liminalis/, seuil, ce terme indique un espace de transition
(escalier, couloir...). Il a été créé en 1992 comme une notion
d'urbanisme pour indiquer *un "non-lieu"* (gares, aéroports,
centres commerciaux...). Ce sont des endroits où l'on passe pour aller
autre part, pas pour y rester.
Avec le temps, il a évolué pour désigner un ressenti, une émotion, un
sentiment de *désorientation*, une notion de "ce n'est pas censé
être utilisé comme ça".
On conscientise un espace où on ne doit pas être.
Il existe *des moments liminaux*, comme le crépuscule : c'est la
transition entre le jour et la nuit.
*Sujet à creuser et plus vaste non abordé dans la conférence* : cela
peut être rapproché de notre rapport aux ruines dans le monde moderne.
** Backroom
Univers fictif créé à partir d'un post 4Chan, l'image qui lui a donné
naissance est apparue dans un autre thread où l'auteur cherchait
d'autres images dans le même thème, en 2019.
Il s'est calqué sur l'univers de la fondation SCP[fn:1] (univers
étendu et très vaste).
Il existe plusieurs Wiki autour de l'univers des backrooms, qui sont
un peu tous en compétition. Ce format de Wiki rajoute un côté ludique
au développement de ce genre d'univers : tout le monde peut y
contribuer facilement ou créer le sien.
** Analog Horror
Ce terme englobe de manière générale la technologie dans l'horreur. Le
style du /found footage/ (Blair Witch), par exemple, est inclus dedans.
Aujourd'hui, beaucoup de chaîne Youtube reprennent ce format à leur
sauce, en ajoutant une narration souvent assez alambiquée, avec des
effets de vieilles VHS sur les vidéos, etc.
Une autre question soulevée par l'analog horror est "est-ce que la
technologie va nous dominer ?".
Shin Megami Tensei est jeu vidéo japonais d'analog horror puisqu'on
utilise des démons technologiques pour combattre. C'est un mélange
entre le quotidien banal avec notre technologie et l'horreur.
* Les espaces liminaux et les backrooms
Les *backrooms* sont donc des *espaces liminaux* dans lesquels se
passent de l'*analog horror*.
** Une nouvelle approche
Les espaces liminaux sont une nouvelle approche originale de
l'horreur : *l'horreur par le vide*. Il n'y a rien qui fait peur sur les
photos d'espaces liminaux si ce n'est l'absence de quelque
chose. Chacun met un peu de soi, un peu de sa peur dans ces images
(une photo de parking vide ne va pas éveiller la même peur chez 2
personnes différentes).
Les espaces liminaux peuvent avoir un apaisant et méditatif au
début. La possibilité de respirer dans des endroits souvent remplis et
stressants. Mais, plus on passe dans ces endroits vides, plus cela
devient étrange et anormal, et la méditation est remplacée par
l'inquiétude.
** Pourquoi un sentiment de malaise ?
Les espaces liminaux sont des espaces de transitions (cf. définition
d'urbanisme), qui sont en bon état. Cela implique forcément une
présence humaine, mais il n'y a personne. 2 alarmes sonnent dans notre
cerveau :
- il y a des gens qui y habitent (les lieux ne sont pas abandonnés)
- il n'y a personne (c'est un fait)
Ces espaces enlèvent nos référentiels habituels. On peut y voir le
vide existentiel qu'il y a après nous (relation avec les ruines).
Les grands espaces, tel que les rues, ne sont pas pensés / fait pour
être vide. Notre cerveau s'attend à voir du monde dans ces espaces
sociaux. Cette solitude nous questionne : qu'est-ce qui s'est passé ?
Pourquoi n'y a-t-il personne ? L'imagination fait le reste. Le
spectateur se sent vulnérable, ce qui le piège dans un état de
malaise.
Les dimensions de ces espaces *ne sont pas normales*, elles sont
intermédiaires. Les pièces sont trop petites pour être un salon mais
trop grande pour être un simple couloir, etc.
Il y a aussi une combinaison de plusieurs styles. Les dimensions sont
disproportionnées ou trop petites. Cet amalgame d'idées architecturales
déformées créé un sentiment de malaise.
Mais tout ça n'est pas nouveau. C'est *l'inquiétante étrangeté* qui
était déjà présente bien avant.
On peut faire un parallèle avec les légendes urbaines, qui étaient de
la tradition orale avant d'évoluer sur les forums (creepy
pasta...). Ce partage est nécessaire : avoir peur en groupe, c'est
plus facile que tout seul.
*** Aparté nostalgie
Dans la VaporWave, il y a une forte notion de nostalgie des années
80/90 et de son esthétisme. La nostalgie est un état dont on ne s'en
rappelle pas mais dans lequel on se remet.
Anemoia : nostalgie d'une époque inconnue (les 2000 avec les années
80, par exemple).
** Un regard sur la société
Dans ces grands espaces vides, comme les bureaux, on peut voir une peur
dans le capitalisme, vu comme un monstre qui retire l'humanité de
toute chose.
Les univers collaboratifs de fictions sur Internet permettent un peu
de prendre la température de son époque :
- SCP :: la politique états-unienne des années 2000 (Patriot Act) et
l'idée / la peur de grandes entreprises secrètes
- Backrooms :: s'est surtout développé pendant le confinement, en
questionnant notre rapport avec le monde qui nous entoure et celui
du travail (cf. les open spaces vides); on retrouve aussi une
dimension écologique
Il faut s'attendre à un nouvel univers étendu d'ici quelques mois,
voire années, développant une nouvelle forme d'horreur dans
l'informatique. Peut-être sur l'IA et les questions éthiques que son
utilisation soulève ?
La société actuelle est très individualiste et la peur est une forme
de communication, on souhaite la partager. C'est pour ça qu'on partage
les histoires d'horreur et qu'on a envie de partager des petits coups
de flips du quotidien (photo étrange, histoire ancrée dans la
réalité...).
* L'analog horror
L'horreur dans la technologie ou "ghost in the machine"; exemple avec
The Ring. L'horreur vient de la technologie que l'on maîtrise qui
contient quelque chose qui nous dépasse. Lorsqu'on fait des robots qui
nous mettent mal à l'aise, ils sont dans [[https://fr.wikipedia.org/wiki/Vall%C3%A9e_de_l%27%C3%A9trange][la vallée de l'étrange]] :
mi-humain; mi-machine. Les backrooms sont en quelque sorte dans la
vallée de l'étrange architecturale.
Cette peur vient de la culture cyberpunk, avec cette peur de se faire
dépasser par la technologie et perdre la domination.
On retrouve cette idée avec les générateurs d'images. On lui donne un
prompt dit négatif : on lui demande ce qu'on ne veut pas voir. Au fur
et à mesure des générations, on retrouve toujours la tête de la même
femme. Pourquoi est-elle là et revient sans cesse ?
Notre cerveau est fait pour reconnaitre des motifs (note personnelle :
LOSS, Among Us...). L'IA aussi mais pas de la même façon, cela
explique pourquoi la génération d'images se fait d'une certaine
manière. Nous sommes perturbés par cette autre vision du monde.
Il faut faire de l'éducation aux médias aux plus jeunes; par rapport
aux problèmes éthiques des IAs qui tournent souvent autour de la perte
des métiers des illustrateurs. Ils jouent sur cette peur par "hype".
* Pourquoi ça marche ?
Les Creepy Pasta ont très bien marché pour une raison similaire. C'est
*l'implication du spectateur*. Le récit est écrit *à la première
personne*, se déroule dans un environnement familier (un quotidien
que tout le monde connaît) et va finir par /shift/ dans l'horreur avec
un élément perturbateur.
Ces histoires jouent avec *le flou* entre réalité et fiction. On se
demande si c'est vrai. Peut-être que c'est faux, peut-être que c'est
vrai; et si ça l'est, c'est horrible.
Une mauvaise creepy pasta souhaite souvent mettre un monstre, ou n'a
pas assez confiance en son histoire en y mettant un climax et
satisfaire le lecteur.
Une bonne creepy pasta est sous la forme de témoignage; c'est un post
sérieux sur un forum. Lorsqu'on lit un livre, un film, on est isolé en
tant que spectateur. On sait qu'on lit une fiction. La forme de post
sérieux nous *enlève cette barrière*.
Ce flou, cet entre-deux, cette incertitude sur la véracité du poste a
une *notion liminale* : nous sommes sur le seuil de la vérité.
Cette forme de post sérieux sur un forum, un réseau social (Twitter,
TikTok...) entretient aussi ce flou. On est "cueilli au vol", entre 2
status sur l'actualité. Il n'y a pas cette impression de lire un
livre ou voir un film. On n'est pas préparé mentalement.
C'est une autre façon de surprendre le spectateur. Notre cerveau est
habitué au schéma classique de l'horreur : les personnages vont dans
un lieu horrifique et tout se passe là-bas (par ex. un lieu
hanté). Une histoire qui ne va pas suivre cette trame va nous
surprendre et nous allons être davantage dans l'histoire (ex. on
s'arrête sur la route vers le château au lieu d'y aller).
** Une horreur de la jeunesse
Il y a une différence générationnelle. Ce n'est pas la même chose de
naître avec une technologie et assister à son arrivée. Pour les jeunes
générations, c'est normal d'utiliser les réseaux pour se faire peur.
Cela répond aussi à une question : quelle est l'aventure de cette
nouvelle génération ? Avant, c'était l'Orient, les Amériques,
etc. Après, ce sera l'espace. Aujourd'hui, c'est Internet : *le monde
cyber* (les réseaux sociaux entre autres).
Tout le monde a un appareil photo et une caméra dans la poche. Il n'y
a plus la protection des médias qui va bloquer les informations
choquantes. Une famille en vacance peut filmer un meurtre. Note
personnelle : cf. [[https://fr.wikipedia.org/wiki/Vol_US_Airways_1549][l'avion échoué dans l'Hudson]] qui a été en premier
posté sur Twitter avant les médias classiques. Il est très simple de
prendre une photo d'un espace un peu étrange et de le partager.
Les backrooms poussent les gens, et plus particulièrement les jeunes,
à créer (via des photos, de l'écriture...) et amènent des réflexions
sur notre monde et notre société.
** Les nouveaux moyens de créations
Les backrooms sont très accessibles, notamment aux plus jeunes. Il est
très simple de créer dans cet univers : dessin, texte, vidéo...
Il y a une profusion d'outils pour contribuer à cet univers : Les
jeunes générations ont cette notion de contribution avec les
Wikis. Les logiciels permettant de faire des dessins, des animations,
etc. sont gratuits et les tutoriels fourmillent sur Internet pour les
prendre en main. TikTok, application majoritairement utilisée par les
jeunes, promeut ce genre de création.
Ces créations nécessitent aussi une grande abnégation en tant
qu'auteur. Il ne faut pas fixer des limites dans cet univers, on en
perd l'intérêt. On abandonne le contrôle en tant que créateur pour
laisser l'imagination du lecteur l'embarquer. Cela joue avec *la
suspension consentie de l'incrédulité*, le lecteur accepte de jouer le
jeu.
En tant qu'auteur, cela permet d'évacuer la frustration et partager
ainsi ses sentiments.
* Espaces liminaux dans les jeux vidéos
Les espaces dans les jeux vidéos sont aussi étranges et liminaux :
- Majora's Mask : espace en transition vers la fin du monde
- Les Sims
- Chrono trigger
- Minecraft et ses /farlands/ : une zone boguée en bout de carte. On
ne peut en théorie s'y rendre qu'avec des commandes. Une personne
essaie de [[https://invidious.fdn.fr/channel/UC1Un5592U9mFx5n6j2HyXow][s'y rendre à pied]] depuis plus de 10 ans. Il devrait
arriver [[https://libreddit.nl/r/mindcrack/comments/28xjms/when_will_kurt_reach_the_farlands/][en 2026]].
- Mario64 et sa revisite : Les angles de caméra sont sensiblement
différents. Cela montre que ce jeu ne peut marcher qu'avec des
angles précis sinon on ressent un malaise. On ressent *une banale
étrangeté*.
On peut parler de ruines numériques avec les jeux vidéos, les sites
web (forums...) abandonnés. La vidéo de [[https://invidious.fdn.fr/watch?v=PRgATG6PUA0][ViSauce qui explore un MMORPG
vide]] a cette étrange aura de découverte d'un vestige d'un ancien
temps.
Note personnelle : cela me fait penser à [[https://invidious.fdn.fr/watch?v=03yL_JCeQBI][une vidéo de The Librarian]]
sur le sentiment effrayant que peuvent dégager les cartes faites sur
Source. Si mes souvenirs sont bons, il en a été question lors de la
conférence et je lui trouve aussi beaucoup de points communs avec (le
fait que le lieu devrait être habitué alors que non, architecture
étrange...).
** Aparté Réalité Virtuelle
Notre cerveau est idiot. Notre relation avec l'espace est très
particulière (cf. illusion d'optique). Lors d'une séance de Réalité
Virtuelle, le cerveau va paniquer à cause du décalage entre les
sensations (le corps ne bouge pas) et les informations visuelles (le
personnage dans Super Hot tombe d'un immeuble). Il va s'y habituer
après un certain laps de temps, devant être recalibré avec la réalité
à la fin d'une longue séance.
* Note personnelle et oeuvres citées
[[https://nitter.lacontrevoie.fr/search?f=tweets&q=%23liminalstun][#liminalstun]] pour voir des photos liminales suite à cette conférence.
Note personnelle sur mes expériences avec les espaces liminaux : au
Stunfest, avec l'escalier qui monte. C'est vide et on se demande
pourquoi il n'y a personne. Idem avec certaines stations du métro
parisien où des trains vides arrivent.
Oeuvres citées :
- [[https://fr.wikipedia.org/wiki/BLAME!][BLAME!]] (manga)
- [[https://store.steampowered.com/app/2330500/BETON_BRUTAL/][BETON BRUTAL]] (jeu vidéo)
- [[https://fr.wikipedia.org/wiki/Blair_Witch_(s%C3%A9rie_de_films)][La sorcière de Blair]] (film)
- [[https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Cercle_(film,_2002)][Le Cercle]] (film)
- [[https://fr.wikipedia.org/wiki/Shin_Megami_Tensei][Shin Megami Tensei]] (série de jeux vidéos)
- [[https://www.minecraft.net/][Minecraft]] (jeu vidéo)
- [[https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Sims][Les Sims]] (série de jeux vidéos)
- [[https://fr.wikipedia.org/wiki/Chrono_Trigger][Chrono Trigger]] (jeu vidéo)
- [[https://fr.wikipedia.org/wiki/Super_Mario_64][Super Mario 64]] (jeu vidéo)
- [[https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Legend_of_Zelda:_Majora%27s_Mask][The Legend of Zelda: Majora's Mask]] (jeu vidéo)
* Footnotes
[fn:1] On désignera la fondation SCP et son univers sous le nom *SCP*.