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Étrangeté numérique : Voyage dans les espaces liminaux et autres analog horror

Introduction

Intervenants : ALT 236 , Dollywood, Faé, Thomas Hercouët (journaliste Brut et animateur du podcast Les Nouilles Rampantes).

Ce résumé n'est pas forcément organisé comme la conférence (qui était plus une discussion organisée). J'ai essayé de faire un travail de synthèse sur mes notes pour réorganiser les idées qui fusaient dans un ordre qui me convenait.

Il y a eu une suite à cette conférence, mais je n'ai pas pu y aller. Si vous avez pu vous y rendre et prendre des notes, je serai heureux de rajouter un lien ici vers la synthèse de ces dernières.

Certains liens sont directement cités dans la conférence, d'autres ont été rajoutés par mes soins pour rediriger les personnes intéressées vers d'autres ressources.

Définitions

Définitions basiques de ces grands thèmes avant de rentrer dedans plus en détail durant la conférence.

Liminal

Du latin liminalis, seuil, ce terme indique un espace de transition (escalier, couloir…). Il a été créé en 1992 comme une notion d'urbanisme pour indiquer un "non-lieu" (gares, aéroports, centres commerciaux…). Ce sont des endroits où l'on passe pour aller autre part, pas pour y rester.

Avec le temps, il a évolué pour désigner un ressenti, une émotion, un sentiment de désorientation, une notion de "ce n'est pas censé être utilisé comme ça".

On conscientise un espace où on ne doit pas être.

Il existe des moments liminaux, comme le crépuscule : c'est la transition entre le jour et la nuit.

Sujet à creuser et plus vaste non abordé dans la conférence : cela peut être rapproché de notre rapport aux ruines dans le monde moderne.

Backroom

Univers fictif créé à partir d'un post 4Chan, l'image qui lui a donné naissance est apparue dans un autre thread où l'auteur cherchait d'autres images dans le même thème, en 2019.

Il s'est calqué sur l'univers de la fondation SCP1 (univers étendu et très vaste).

Il existe plusieurs Wiki autour de l'univers des backrooms, qui sont un peu tous en compétition. Ce format de Wiki rajoute un côté ludique au développement de ce genre d'univers : tout le monde peut y contribuer facilement ou créer le sien.

Analog Horror

Ce terme englobe de manière générale la technologie dans l'horreur. Le style du found footage (Blair Witch), par exemple, est inclus dedans.

Aujourd'hui, beaucoup de chaîne Youtube reprennent ce format à leur sauce, en ajoutant une narration souvent assez alambiquée, avec des effets de vieilles VHS sur les vidéos, etc.

Une autre question soulevée par l'analog horror est "est-ce que la technologie va nous dominer ?".

Shin Megami Tensei est jeu vidéo japonais d'analog horror puisqu'on utilise des démons technologiques pour combattre. C'est un mélange entre le quotidien banal avec notre technologie et l'horreur.

Les espaces liminaux et les backrooms

Les backrooms sont donc des espaces liminaux dans lesquels se passent de l'analog horror.

Une nouvelle approche

Les espaces liminaux sont une nouvelle approche originale de l'horreur : l'horreur par le vide. Il n'y a rien qui fait peur sur les photos d'espaces liminaux si ce n'est l'absence de quelque chose. Chacun met un peu de soi, un peu de sa peur dans ces images (une photo de parking vide ne va pas éveiller la même peur chez 2 personnes différentes).

Les espaces liminaux peuvent avoir un apaisant et méditatif au début. La possibilité de respirer dans des endroits souvent remplis et stressants. Mais, plus on passe dans ces endroits vides, plus cela devient étrange et anormal, et la méditation est remplacée par l'inquiétude.

Pourquoi un sentiment de malaise ?

Les espaces liminaux sont des espaces de transitions (cf. définition d'urbanisme), qui sont en bon état. Cela implique forcément une présence humaine, mais il n'y a personne. 2 alarmes sonnent dans notre cerveau :

  • il y a des gens qui y habitent (les lieux ne sont pas abandonnés)
  • il n'y a personne (c'est un fait)

Ces espaces enlèvent nos référentiels habituels. On peut y voir le vide existentiel qu'il y a après nous (relation avec les ruines).

Les grands espaces, tel que les rues, ne sont pas pensés / fait pour être vide. Notre cerveau s'attend à voir du monde dans ces espaces sociaux. Cette solitude nous questionne : qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi n'y a-t-il personne ? L'imagination fait le reste. Le spectateur se sent vulnérable, ce qui le piège dans un état de malaise.

Les dimensions de ces espaces ne sont pas normales, elles sont intermédiaires. Les pièces sont trop petites pour être un salon mais trop grande pour être un simple couloir, etc.

Il y a aussi une combinaison de plusieurs styles. Les dimensions sont disproportionnées ou trop petites. Cet amalgame d'idées architecturales déformées créé un sentiment de malaise.

Mais tout ça n'est pas nouveau. C'est l'inquiétante étrangeté qui était déjà présente bien avant.

On peut faire un parallèle avec les légendes urbaines, qui étaient de la tradition orale avant d'évoluer sur les forums (creepy pasta…). Ce partage est nécessaire : avoir peur en groupe, c'est plus facile que tout seul.

Aparté nostalgie

Dans la VaporWave, il y a une forte notion de nostalgie des années 80/90 et de son esthétisme. La nostalgie est un état dont on ne s'en rappelle pas mais dans lequel on se remet.

Anemoia : nostalgie d'une époque inconnue (les 2000 avec les années 80, par exemple).

Un regard sur la société

Dans ces grands espaces vides, comme les bureaux, on peut voir une peur dans le capitalisme, vu comme un monstre qui retire l'humanité de toute chose.

Les univers collaboratifs de fictions sur Internet permettent un peu de prendre la température de son époque :

SCP
la politique états-unienne des années 2000 (Patriot Act) et l'idée / la peur de grandes entreprises secrètes
Backrooms
s'est surtout développé pendant le confinement, en questionnant notre rapport avec le monde qui nous entoure et celui du travail (cf. les open spaces vides); on retrouve aussi une dimension écologique

Il faut s'attendre à un nouvel univers étendu d'ici quelques mois, voire années, développant une nouvelle forme d'horreur dans l'informatique. Peut-être sur l'IA et les questions éthiques que son utilisation soulève ?

La société actuelle est très individualiste et la peur est une forme de communication, on souhaite la partager. C'est pour ça qu'on partage les histoires d'horreur et qu'on a envie de partager des petits coups de flips du quotidien (photo étrange, histoire ancrée dans la réalité…).

L'analog horror

L'horreur dans la technologie ou "ghost in the machine"; exemple avec The Ring. L'horreur vient de la technologie que l'on maîtrise qui contient quelque chose qui nous dépasse. Lorsqu'on fait des robots qui nous mettent mal à l'aise, ils sont dans la vallée de l'étrange : mi-humain; mi-machine. Les backrooms sont en quelque sorte dans la vallée de l'étrange architecturale.

Cette peur vient de la culture cyberpunk, avec cette peur de se faire dépasser par la technologie et perdre la domination.

On retrouve cette idée avec les générateurs d'images. On lui donne un prompt dit négatif : on lui demande ce qu'on ne veut pas voir. Au fur et à mesure des générations, on retrouve toujours la tête de la même femme. Pourquoi est-elle là et revient sans cesse ?

Notre cerveau est fait pour reconnaitre des motifs (note personnelle : LOSS, Among Us…). L'IA aussi mais pas de la même façon, cela explique pourquoi la génération d'images se fait d'une certaine manière. Nous sommes perturbés par cette autre vision du monde.

Il faut faire de l'éducation aux médias aux plus jeunes; par rapport aux problèmes éthiques des IAs qui tournent souvent autour de la perte des métiers des illustrateurs. Ils jouent sur cette peur par "hype".

Pourquoi ça marche ?

Les Creepy Pasta ont très bien marché pour une raison similaire. C'est l'implication du spectateur. Le récit est écrit à la première personne, se déroule dans un environnement familier (un quotidien que tout le monde connaît) et va finir par shift dans l'horreur avec un élément perturbateur.

Ces histoires jouent avec le flou entre réalité et fiction. On se demande si c'est vrai. Peut-être que c'est faux, peut-être que c'est vrai; et si ça l'est, c'est horrible.

Une mauvaise creepy pasta souhaite souvent mettre un monstre, ou n'a pas assez confiance en son histoire en y mettant un climax et satisfaire le lecteur.

Une bonne creepy pasta est sous la forme de témoignage; c'est un post sérieux sur un forum. Lorsqu'on lit un livre, un film, on est isolé en tant que spectateur. On sait qu'on lit une fiction. La forme de post sérieux nous enlève cette barrière.

Ce flou, cet entre-deux, cette incertitude sur la véracité du poste a une notion liminale : nous sommes sur le seuil de la vérité.

Cette forme de post sérieux sur un forum, un réseau social (Twitter, TikTok…) entretient aussi ce flou. On est "cueilli au vol", entre 2 status sur l'actualité. Il n'y a pas cette impression de lire un livre ou voir un film. On n'est pas préparé mentalement.

C'est une autre façon de surprendre le spectateur. Notre cerveau est habitué au schéma classique de l'horreur : les personnages vont dans un lieu horrifique et tout se passe là-bas (par ex. un lieu hanté). Une histoire qui ne va pas suivre cette trame va nous surprendre et nous allons être davantage dans l'histoire (ex. on s'arrête sur la route vers le château au lieu d'y aller).

Une horreur de la jeunesse

Il y a une différence générationnelle. Ce n'est pas la même chose de naître avec une technologie et assister à son arrivée. Pour les jeunes générations, c'est normal d'utiliser les réseaux pour se faire peur.

Cela répond aussi à une question : quelle est l'aventure de cette nouvelle génération ? Avant, c'était l'Orient, les Amériques, etc. Après, ce sera l'espace. Aujourd'hui, c'est Internet : le monde cyber (les réseaux sociaux entre autres).

Tout le monde a un appareil photo et une caméra dans la poche. Il n'y a plus la protection des médias qui va bloquer les informations choquantes. Une famille en vacance peut filmer un meurtre. Note personnelle : cf. l'avion échoué dans l'Hudson qui a été en premier posté sur Twitter avant les médias classiques. Il est très simple de prendre une photo d'un espace un peu étrange et de le partager.

Les backrooms poussent les gens, et plus particulièrement les jeunes, à créer (via des photos, de l'écriture…) et amènent des réflexions sur notre monde et notre société.

Les nouveaux moyens de créations

Les backrooms sont très accessibles, notamment aux plus jeunes. Il est très simple de créer dans cet univers : dessin, texte, vidéo…

Il y a une profusion d'outils pour contribuer à cet univers : Les jeunes générations ont cette notion de contribution avec les Wikis. Les logiciels permettant de faire des dessins, des animations, etc. sont gratuits et les tutoriels fourmillent sur Internet pour les prendre en main. TikTok, application majoritairement utilisée par les jeunes, promeut ce genre de création.

Ces créations nécessitent aussi une grande abnégation en tant qu'auteur. Il ne faut pas fixer des limites dans cet univers, on en perd l'intérêt. On abandonne le contrôle en tant que créateur pour laisser l'imagination du lecteur l'embarquer. Cela joue avec la suspension consentie de l'incrédulité, le lecteur accepte de jouer le jeu.

En tant qu'auteur, cela permet d'évacuer la frustration et partager ainsi ses sentiments.

Espaces liminaux dans les jeux vidéos

Les espaces dans les jeux vidéos sont aussi étranges et liminaux :

  • Majora's Mask : espace en transition vers la fin du monde
  • Les Sims
  • Chrono trigger
  • Minecraft et ses farlands : une zone boguée en bout de carte. On ne peut en théorie s'y rendre qu'avec des commandes. Une personne essaie de s'y rendre à pied depuis plus de 10 ans. Il devrait arriver en 2026.
  • Mario64 et sa revisite : Les angles de caméra sont sensiblement différents. Cela montre que ce jeu ne peut marcher qu'avec des angles précis sinon on ressent un malaise. On ressent une banale étrangeté.

On peut parler de ruines numériques avec les jeux vidéos, les sites web (forums…) abandonnés. La vidéo de ViSauce qui explore un MMORPG vide a cette étrange aura de découverte d'un vestige d'un ancien temps.

Note personnelle : cela me fait penser à une vidéo de The Librarian sur le sentiment effrayant que peuvent dégager les cartes faites sur Source. Si mes souvenirs sont bons, il en a été question lors de la conférence et je lui trouve aussi beaucoup de points communs avec (le fait que le lieu devrait être habitué alors que non, architecture étrange…).

Aparté Réalité Virtuelle

Notre cerveau est idiot. Notre relation avec l'espace est très particulière (cf. illusion d'optique). Lors d'une séance de Réalité Virtuelle, le cerveau va paniquer à cause du décalage entre les sensations (le corps ne bouge pas) et les informations visuelles (le personnage dans Super Hot tombe d'un immeuble). Il va s'y habituer après un certain laps de temps, devant être recalibré avec la réalité à la fin d'une longue séance.

Note personnelle et oeuvres citées

#liminalstun pour voir des photos liminales suite à cette conférence.

Note personnelle sur mes expériences avec les espaces liminaux : au Stunfest, avec l'escalier qui monte. C'est vide et on se demande pourquoi il n'y a personne. Idem avec certaines stations du métro parisien où des trains vides arrivent.

Oeuvres citées :

Footnotes


1

On désignera la fondation SCP et son univers sous le nom SCP.